Article paru dans La Liberté, 11.5.2006

Les juges font boire la tasse à un projet de gravière qui nageait en eaux troubles

ENVIRONNEMENT · Pour la troisième fois depuis le début de l'année, le Tribunal administratif désavoue les autorités vaudoises. Protection des eaux potables en jeu. 

Et de trois pour les opposants aux gravières. Après avoir mis son veto à des projets d'extraction à Montricher et Bioley-Orjulaz (notre édition du 23 mars), le Tribunal administratif vaudois a fait tomber son couperet sur une nouvelle gravière prévue dans la région de la Côte. Dans son arrêt du 4 mai dernier, il constate que le projet, situé à cheval sur les communes de Trélex et de Gingins, comporte une «violation des dispositions fédérales sur la protection des eaux». Il s'agit donc d'un nouveau désaveu pour les autorités cantonales, et en particulier pour le ministre UDC Jean-Claude Mermoud, qui avait levé les oppositions à l'issue de la mise à l'enquête.

Comme lors des deux cas précédents, tranchés en janvier et mars dernier, c'est la protection de sources d'eau potable qui est en jeu. Les gisements qui devaient être exploités à Trélex et Gingins se situent en effet au-dessus de nappes phréatiques alimentant notamment le réseau de la ville de Nyon. Sur la base du rapport d'impact sur l'environnement réalisé par le bureau Impact-Concept, les autorités affirmaient que l'eau potable était protégée d'éventuelles pollutions par une couche de moraine perméable. Une analyse que remettaient en cause les experts consultés par les opposants. 

Le Tribunal administratif partage ces doutes. Il relève au passage que le rapport d'Impact-Concept se basait sur des données lacunaires. Le même bureau, qui se taille la part du lion dans le marché des études d'impact en la matière, avait déjà été critiqué lors des deux précédentes affaires. Concernant le projet de nouvelle gravière sur la Côte, le tribunal a renvoyé sa copie à l'autorité compétente, le Département de la sécurité et de l'environnement (DSE).

Ce dossier jette à nouveau une lumière peu engageante sur la révision du plan directeur des carrières en 2003. La zone d'extraction telle que retenue avant la révision débordait en effet du périmètre fixé par l'ancien plan directeur de 1991. Or, dans sa nouvelle mouture, on constate que la zone exploitable épouse comme par magie les contours du projet. D'où un fort soupçon, déjà émis dans le cas de Bioley-Orjulaz: la révision de 2003 pourrait bien avoir servi à satisfaire des intérêts privés, plutôt qu'à mettre en oeuvre de grands principes politiques.

L'arrêt du Tribunal administratif soulève enfin une question épineuse sur la procédure de prise de décision en vigueur dans le canton. Conformément à la législation vaudoise, c'est le chef du DSE - Jean-Claude Mermoud à l'époque - qui s'est prononcé sur les oppositions au plan d'extraction. La mise à l'enquête avait quant à elle été effectuée par le Service des eaux, sols et assainissements (SESA), dépendant du DSE.

Or, il n'est pas sûr que cette procédure soit conforme au droit fédéral. Selon ce dernier, l'autorité chargée de statuer sur les oppositions doit être indépendante de l'auteur du plan d'extraction, ce qui n'est pas vraiment le cas du DSE. «Cette question se pose d'autant plus, relève le tribunal, que l'examen des oppositions en vue de la rédaction finale semble avoir été effectué par des juristes du SESA et non pas par des personnes indépendantes de ce service». Comme le recours des opposants devait de toute façon être admis, les juges ont renoncé à trancher cette question. Quoi qu'il en soit, la distribution actuelle des rôles n'est pas pour donner une image plus nette de la gestion du dossier par les autorités, déjà soupçonnées de complaisance à l'égard du lobby des gravières.

Michaël Rodriguez