Article paru dans 24 Heures, 24.11.2011

Riviera-Chablais, Raphaël Delessert

Les voisins des carrières clament leur ras-le-bol

Il y a une vingtaine d’années, une pierre de la taille d’un ballon de foot a pulvérisé la fenêtre de la salle de bains, traversé la pièce et détruit un meuble du hall d’entrée. Aujourd’hui, grâce aux mesures de sécurisation, Benjamin Bianchin ne craint plus les carrières qui surplombent sa maison. Mais il peine toujours plus à supporter le bruit et la poussière générés par l’exploitation de la montagne, au-dessus de Villeneuve. Particulièrement durs, les blocs de pierre extraits des carrières d’Arvel servent notamment à la production de ballast de chemin de fer et de gravillons pour les couches d’usure des chantiers. 

«Mon père était tailleur de pierres, à l’époque. Les gens travaillaient à la main, les explosions étaient rares. Mais ces vingt dernières années ça a pris une ampleur considérable», soupire le retraité. «C’est carrément invivable ici, lui fait écho Bernard Pastore, son voisin. Il y a le bruit du concassage et des blocs qui dévalent la pente, les explosions, le va-et-vient incessant des camions…»

Au vacarme s’ajoute la poussière. «C’est simple, il y en a partout. Sur les cheneaux, sur la terrasse, sur les fenêtres, dans la maison… Je dois parfois même enlever la poussière de mes tomates dans le jardin», témoigne Georgette Bianchin. 

Attaché à cette terre

Depuis cet été, les machines ont cessé leur travail sur la partie ouest d’Arvel, dans la zone du Châble-du-Midi, au-dessus des maisons occupées par les deux familles. «Et pourtant, regardez, la poussière s’accumule encore sur ma terrasse», indique la Villeneuvoise, geste à l’appui. Pourquoi, dès lors, ne pas quitter les lieux et aller vivre ailleurs? «Je suis attaché à cette terre, j’y ai élevé ma famille», répond Bernard Pastore. 

L’agriculteur et ses deux voisins militent au sein de l’association SOS Arvel – 450 membres –, qui dénonce «la lèpre» qui ronge la montagne, demande l’arrêt de l’exploitation des Monts d’Arvel et redoute surtout une reprise des travaux au Châble-du-Midi. 

Il y a deux semaines, des affiches aux slogans musclés ont été placardées dans la région. «Honte à la balafre, non à ce scandale, honte aux responsables de l’environnement», pouvait-on lire. «Nous continuons le combat, nous sommes toujours là», résume le secrétaire exécutif de SOS Arvel, Robert Haas. 

Dans les maisons sous les carrières, on est un peu moins pugnaces: «J’ai l’impression qu’on ne lutte pas à armes égales contre les carrières. Là, je me sens un peu découragé», souffle Benjamin Bianchin, qui se défend de toute animosité à l’encontre de ceux qui creusent la roche: «Ils font leur boulot, on se salue. C’est tout. »

Quelques centaines de mètres plus loin en direction du lac, de grandes enseignes attirent chaque jour des milliers de clients dans la zone industrielle et commerciale de Villeneuve. «Les carrières ont toujours été là. Il y a un peu de poussière, c’est vrai. Sinon, nous ne subissons pas d’autres nuisances», assure la directrice du centre Villeneuve Outlet, Sabine Joseph. 

Quant au directeur des carrières, Bernard Streiff, il assure que des mesures sont prises pour réduire au maximum le bruit et la poussière générés par l’exploitation. «Et selon le projet à l’étude(ndlr: lire ci-dessous), ces inconvénients seront encore nettement diminués à l’avenir. » 

Deux procédures distinctes en cours

Aujourd’hui, deux procédures sont en cours aux Carrières d’Arvel. Tout d’abord des travaux de sécurisation de la falaise dans la zone du Châble-du-Midi, frappée par un gros éboulement fin 2008. Les services de l’Etat ont donné leur feu vert, mais le chantier n’a pas pu démarrer: l’écologiste Franz Weber, l’association SOS Arvel et quatre autres opposants ont mis leur veto et porté leur cause au Tribunal cantonal. «Sous le sceau de la sécurisation, on cherche à grignoter la montagne autant que possible, jusqu’au prochain projet d’exploitation», dénonce Robert Haas, de SOS Arvel. Ce prochain projet, justement: une prolongation de l’exploitation du Châble-du-Midi est toujours en consultation dans les bureaux du canton. «La procédure suit son cours. Ce projet pourrait être mis à l’enquête au début de 2012», indique Jean-Daniel Dubois, géologue au Service vaudois des eaux, sols et assainissement.